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Cartes Postales
Texte de Guylaine Guay

Comme les voyages sont pour l’instant remis au futur, je me permets de vous faire voyager au passé.
De si beaux endroits que j’ai visités il y a un an, 20 ans, 30 ans- il y a une autre vie.

Première carte postale.

De Cape Cod.

J’ai 19 ans.
Ma tante Monique me dit qu’une de ses collègues de travail se cherche quelqu’un pour partager les frais d’un voyage à la mer.
Je ne la connais pas vraiment, elle s’appelle Annie, et ma tante me dit qu’elle est très sympathique.
Sans trop y penser, j’entre en contact avec cette Annie.
Je serai donc celle qui partira à la mer avec elle. Et Gemma aussi, une fille un peu plus vieille que nous, qui venait tout juste de perdre un être cher. Je n’en sais pas plus. On ne pose pas trop de questions à quelqu’un qu’on connaît peu, avec qui on va à la mer. Le deuil est une chose très intime.

Un oncle de Gemma possède une petite maison à Cape Cod : c’est là que nous habiterons pendant une semaine.
Je suis donc partie avec deux inconnues, dans une vieille voiture qui faisait un peu de fumée en roulant. Nous aurons une crevaison la première journée, et beaucoup de plaisir les six autres.

La mer, tout ce homard mangé, mes coups de soleils, ce jeune homme roux d’Ontario avec qui j’échangerai des sourires sur la plage tous les jours. Tout de ce voyage est un doux et roux souvenir. Même la crevaison en début de périple. Nous avions tellement ri! J’ai fait ce voyage à Cape Cod à 19 ans. Je n’ai jamais revu Annie, Gemma, et surtout pas ce jeune homme roux d’Ontario.

Deuxième carte postale

De Cap-aux-Meules

Pour mon 40e anniversaire, je me suis offert un voyage aux Îles-de-la-Madeleine. Mon arrière-grand-père Elzéar Leblanc y est né. Ma grand-mère Juliette m’en a parlé. J’ai de l’ADN des Îles c’est certain. Du sel dans mon sang, du vent sur mon âme.
Un premier voyage sur la terre et mer de mes ancêtres.
En solitaire, mais en duo. L’océan et moi.
J’ai eu l’impression de rentrer à la maison. L’accent musical de ses habitants bercera mon esprit longtemps.

Troisième carte postale

De Verdun

J’ai 8 ans. Ma mère travaille beaucoup. Elle est serveuse dans un restaurant et revient de ses journées complètement exténuée. Mon père s’occupe de ma sœur et moi.
Le samedi, nous allons faire un pique-nique au Parc Angrignon.
Fille de la ville, je suis certaine que c’est ça, la campagne.
Rien de bien chic, des sandwichs au poulet pressé et du jus de raisin.
Même pas de nappe, direct sur le gazon. Si le poulet de nos sandwichs était pressé, nous, on prenait tout notre temps. On marchait. On ramassait des cocottes. Mon père nous achetait un ‘popsicle’ jaune. Ça goûtait un peu la banane, et beaucoup l’amour.

Quatrième carte postale

De Villa Gisèle

J’ai 23 ans. Je décide de partir seule au Venezuela. Avec une grosse valise de couleur pêche, un chapeau de paille, et 4 robes soleil. Dans les petites annonces de La Presse, j’ai vu qu’une certaine ‘Gisèle’ louait une chambre dans sa villa,  près de la plage. J’ai appelé Gisèle, et j’ai loué cette chambre.
En mettant les pieds dans cette belle maison toute blanche, j’ai tout de suite su que ce séjour allait être magique. Gisèle avait 70 ans, bientôt 71. Dynamique, elle me racontait toutes les péripéties vécues avec les nombreux touristes qu’elle avait rencontrés. On s’est liées d’amitié. Elle m’a présenté ses amis au village. J’ai même organisé, à son insu, un petit brunch pour son anniversaire. Sur l’énorme terrasse à l’avant de la maison, j’ai cuisiné des dizaines de crêpes pour les convives. Avec de la confiture de goyaves qui goûte le soleil. Je n’ai jamais oublié Gisèle; j’espère être aussi rayonnante et pleine de vitalité qu’elle à mes 71 ans.

Cinquième carte postale

De mon cœur  

J’ai 50 ans. À la télé, à la radio, partout on parle d’un dangereux virus. Je téléphone à ma mère presque tous les jours, elle habite seule. Mon père est décédé il y a 2 ans. Je prends soin de mes fils. J’ai la chance d’avoir un conjoint vaillant.
Cette adversité me permet de prendre position quant à mes valeurs profondes. Je suis reconnaissante. Je ne manque de rien, je suis en santé.
Tous les jours, je remercie celles et ceux qui nous soignent, nous protègent, nous nourrissent, nous enseignent.

Les voyages ne sont pas permis en ce moment. Mais ce voyage intérieur que je fais présentement, sans valise ni passeport, cette escapade de patience, cette randonnée de tolérance, cette croisière de gratitude… Je prendrai le temps de tout vivre, en entier.
Et ce, avec dans mes poches, des souvenirs comme des coquillages qu’on ramène d’un séjour à la mer, pour ne pas en oublier la beauté.
Avec moi pour toujours : la générosité de mon père, le courage de ma mère, la joie d’Annie, la résilience de Gemma, la gentillesse du jeune homme roux d’Ontario, la chaleur humaine des gens des Îles, la bonté de ma grand-mère, la vivacité d’esprit de Gisèle, la fougue de ma sœur.
Ces voyages humains, plein mon cœur.

Prenez bien soin de vous.
Avec amour et tendresse,
Guylaine xx